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Alessio Vagaggini

Alessio Vagaggini

Dans ce ciel bleu, vous ne pouvez plus voir les traces des avions.

Cela fait quelques soirs que j’ai quitté la maison au crépuscule et je constate ce manque inhabituel là-haut, à plusieurs kilomètres au-dessus de ma tête. Même si je m’allonge dans le jardin, rien, on ne voit même pas l’ombre des avions. C’est le 36ème jour de confinement, une brise printanière me fait trembler, et même en levant les yeux il n’y a pas des bonnes nouvelles.

Les voyages en avion, ce monde fantastique dans lequel j’ai été projeté pour la première fois il y a presque 15 ans. Je m’en souviens comme d’un rêve, comme quelque chose que je n’avais vu que dans les films et à la place, à ce moment, j’en suis devenu le protagoniste. Avec mes yeux enfantins, cette simple tentative d’imiter les oiseaux et de se positionner en tant que leaders de l’Univers était une raison d’excitation sans précédent. J’ai passé ce voyage en état d’ébriété à quelques reprises, et j’ai été déçu quand j’ai dû quitter cette sphère bleue et blanche avec l’écriture Ryanair qui se tenait au-dessus de ma tête. Depuis ce tempslà, de cette Pise-Londres Stansted, de nombreuses feuilles sont tombées et de nombreux arbres ont poussé, ainsi que de nombreux vols que j’ai pris. Je les ai calculés l’autre soir en regardant les photos d’un voyage dans les Pyrénées. Si je ne me trompe pas, j’ai pris  presque 200 avions mais ma mémoire, lors de journées comme celles-ci, pourrait légitimement perdre en lucidité.

Un avion Ryanair á l’aéroport de Sofia, Bulgaria

Ces voyages, ces lieux, ces gens qui en quelques années ont peuplé mon existence et m’ont fait grandir dans un univers que je n’aurais jamais pu imaginer dans sa splendeur. Si je rassemble le temps que j’ai passé à voyager et à vivre à l’étranger, je me rends compte à quel point il a toujours eu parfait équilibre entre ces deux mondes. Les voyages m’ont expliqué ce qui est au-delà de mon jardin, m’ont fait réaliser des rêves et briser les préjugés. J’ai appris les langues et les coutumes des peuples avec lesquels je me suis toujours senti en harmonie, réalisant l’importance d’avoir sa propre culture, forte, enracinée et de pouvoir la partager pacifiquement avec les autres. J’ai compris que les peuples, leurs coutumes et leurs règles, existent, nous conditionnent, nous donnent une boussole pour nous guider dans la race humaine, sans laquelle il serait difficile de donner un sens à nos pas, de définir notre identité. Qui sait ce qui se passe maintenant dans un Louvain-la-Neuve déserté, où les allées et venues des étudiants laissent place à un silence irréel. Qui sait comment les sévillans le vivent, privé de la plus belle semaine du monde, cette Semana Santa qui ne fait que trembler comme sur les photos comme au premier baiser.

Vue sur Castille la Manche – Espagne

Mais de tous ces endroits, de ces gens et de ces cultures, on me revient avec une insistance renouvelée. Comme une chère voix, comme une caresse enfantine qui repousse les mauvaises pensées. Le seul endroit où, paradoxalement, Covid-19 a produit des effets négligeables, étant donné son isolement dans le nord de l’Espagne.

En fait, si je ferme les yeux, ma mémoire me permet de voyager quelques années en arrière, et quand je les rouvre je me retrouve toujours là, au cœur de la Gascogne, en admirant l’un des ermitages les plus fascinants du monde. Dans ces moments, San Juan de Gaxtelgatxe vient à l’esprit avec toute sa force, avec l’aura mystique qui l’entoure. Là, où l’Atlantique cogne à toutes les heures du jour et de la nuit, le bruit des vagues s’écrasant contre les rochers ne s’arrête jamais. Le bruit de la nature, le silence de l’Absolu.

C’est peut-être un signal. Peut-être que celui du silence est vraiment un enseignement. C’est le souvenir de quand ce Zeitgeist est tellement imprégné de mots, de poses, de messages, qu’il finit par se fermer dans un Babel où aucun langage n’est plus compréhensible. Si nous cessions de regarder de manière obsessionnelle les écrans, les données et les statistiques, en nous adressant aux virologues, climatologues et théoriciens du complot, nous comprendrions peut-être un peu mieux la vie. Nous saurons, avant tout, aimer les gens et non les choses, vivre en fonction de ce qui est nécessaire et non en termes d’accessoires. Nous camperons peut-être un peu plus légèrement, sans avoir besoin de toujours tout savoir, de prendre position, de crier sans même savoir contre qui nous nous battons. Comme ce serait beau si, dans le silence de nos intimités, nous formions des pensées, des mots, des sentiments, sans avoir besoin de les imprimer, de les protester, de les ériger en fétiche de ce que nous aimerions être et desquels, à l’inverse, nous nous éloignons inexorablement.

Parfois, quand je me concentre, ces vagues sur l’Atlantique, je les sens vraiment à l’intérieur, comme un mantra qui me détend et me relie à mon intériorité.

J’ouvre les yeux. Deux heures dix.

Le café est prêt, et la pause de mes réflexions s’épuise dans quelques instants. Je me remets un instant, et je fais semblant d’être indifférent aux pensées d’il y a un instant. Je déplace le rideau et regarde par la fenêtre, avant que mon heure de pause grise ne s’épuise et que je vous renvoie aux besoins de base.

Il n’y a toujours pas de traînée d’avion. Mais si je regarde de près, il y a un fil plus fin, presque invisible, que nous avons tous peur de prononcer dans nos cœurs mais qui se détache bien dans l’espace entre les nuages et le ciel.

Ce fil s’appelle Espérance.

Alessio Vagaggini

Marciano della Chiana (AR), 14/04/2020

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