L’Être Narratif de l’Homme et l’Apologie de la Littérature

Author

Livia Corbelli

Livia Corbelli

 

Dio Creatore – W. Blake (wikipedia.org)

Qu’est-ce que c’est la littérature? 

Pensez au premier homme qui a levé les yeux au ciel ou à celui qui tout à coup s’est trouvé devant l’océan à perte de vue. Ou encore à celui qui, en mordant un fruit, a découvert non seulement la nécessité de manger, mais aussi le doux plaisir de le faire. Pensez à la stupeur intimidée de celui qui voit réellement pour la première fois, c’est-à-dire à la stupeur intimidée de celui qui regarde la réalité en se posant des questions. Au-devant des grandes interrogations ainsi qu’au manque de réponses naissent les mythes, les premières histoires de valeur formative et exégétique du monde.

Le besoin de raconter, qui s’est affiné tout au long des siècles, est inhérent à l’homme, il en représente un trait constitutif et essentiel. La finalité originaire du récit est d’expliquer et de s’expliquer : depuis de l’aube des temps, raconter est la méthode que l’homme a élaborée pour com-prendre le monde et se com-prendre soi-même. Le langage n’est pas suffisant pour connaître, pour expliquer.
Le langage est le moyen et le récit est la méthode, le know-how.


Pour décrire son idée philosophique de la connaissance, Platon utilise le mythe de la caverne. Pour parler du divin ineffable, la Bible le fait descendre sur la terre, elle lui fait prendre la forme de l’histoire concrète d’un homme. Pour attirer l’attention du lecteur, le journaliste transforme le compte rendu des faits dans un récit plus ou moins dramatisé, en le rapprochant du lecteur. Nous-mêmes, par exemple, quand nous informons quelqu’un de ce qu’il s’est passé durant la journée, nous ne sommes pas en train de construire quelque chose d’autre qu’un récit – souvent adapté à la sensibilité de l’auditeur.

Ainsi, comme la confrontation – plus ou moins consciente – avec le récit est quotidienne, ne pas en considérer l’importance équivaut à un acte d’extrême superficialité. On ne peut pas saisir la profondeur de l’être humain, de la réalité qui l’entoure et de l’époque dans laquelle il vit si on ne prend pas en considération que l’homme est un être narratif. Il vit d’histoires et aperçoit sa propre existence comme une histoire. En plus, un autre élément à remarquer est le lien très stricte entre le besoin de donner une forme narrative aux évènements, aux pensées, aux sensations et le but que l’on souhaite atteindre. Le choix du ton, du lexique, des détails soulignés, n’est jamais fortuite et insère l’« expliquer » et le « s’expliquer » dans une logique très précise. Est-ce que l’on veut susciter de la peine, de la colère, de l’émotion ? Si oui, pourquoi ? Est-ce que l’on veut convaincre quelqu’un de sa propre théorie ? Est-ce que l’on veut informer objectivement ? Tout contribue à l’élaboration d’un récit, bien sûr, mais aussi à l’effet suscité chez le lecteur/auditeur.

Donc, il est évident que la banalisation de cette tendance humaine ne permet pas le développement d’une conscience critique par rapport aux mots des autres, à travers lesquels, au moins en partie (une grande partie), on vit la réalité. De plus, cette banalisation est symptôme d’une capacité empathique et d’une profondeur d’analyse insuffisantes : celui qui « glisse » sur les mots et sur les histoires n’est pas capable de comprendre l’homme, il agit dans l’ignorance prétentieuse de celui qui connaît ou croit de connaître les mécanismes à la base de la vie et pourtant il ne donne pas d’importance à la vérité essentielle humaine, c’est-à-dire celle sentimentale-émotionnelle. C’est grâce à elle que le récit, l’histoire (petite histoire ou grande Histoire, peu importe) prend sa forme et lie ensemble tous les hommes.

La liseuse – J.-J. Henner

De ce fait, l’appel est vibrant et éprouvant : il ne faut pas jeter à la poubelle la littérature. L’inutilité qui lui est attribuée par le monde rapide du « tout et immédiatement » et du « blanc ou noir » est réellement apparente. La vraie littérature est le moyen – bien plus que ce que l’on ne pense – qui permet de transmettre l’expérience de l’existence et ses nuances. En effet, il faut admettre que ce qui frappe le plus, ce qui intéresse le plus et ce qui s’installe le plus dans la mémoire, est tout ce qui prend la forme du récit – souvent avec un processus de dramatisation. La transformation des faits concrets et de l’âme en récit permet le processus d’identification. Elle est la manière la plus efficace pour arriver à la compréhension, à l’éclaircissement explicatif et au souvenir. Les histoires sont plus difficiles à oublier et les meilleures voyagent dans le temps, car elles stimulent le côté empathique de l’homme, sa curiosité, son imagination. C’est exactement pour cela que l’on arrive à fixer un concept (surtout s’il est abstrait), comprendre une sensation, éclaircir un fait ou l’expliquer en manière plus immédiate et efficace.

La littérature perpétue la vie, puisqu’elle est un réservoir d’émotions, c’est-à-dire le vrai moteur des actes et des pensées humains. La littérature est une ressource utile et fondamentale surtout dans une société contemporaine si rapide qu’autrement, dans un temps pareil à une story sur Instagram, risque de perdre le sens de la réalité à laquelle faire face et la capacité critique de l’analyser. Cueillir l’intention sous-entendue au récit (écrit ou oral) et connecter entre eux d’éléments et des temps différents n’est pas facile si on n’a pas l’habitude de le faire. 

La littérature nous rend humains, car elle n’exclut rien. Au contraire elle inclut, soit la partie rationnelle soit la partie émotionnelle qui nous caractérisent.

foto dall’articolo : https://www.dakaractu.com/Qui-etait-Aylan-Kurdi-le-petit-Syrien-retrouve-mort-sur-une-plage-de-Turquie_a96728.html

C’est pourquoi je crois que tous ceux qui se sont levés pour clamer l’inutilité de la littérature n’ont pas saisi l’occasion pour y réfléchir un peu. Voilà la raison pour laquelle je me propose de les inviter à considérer, par exemple, la photo de l’enfant migrant allongé sur la plage. Elle a fait le tour du monde et a suscité beaucoup plus de réactions que la diffusion des données et l’approche technique-rationnelle à la question de l’immigration. Deux points clés sont : l’image et l’identification. La littérature offre les deux et, en prêtant l’attention nécessaire, on voit que cet enfant est déjà matière littéraire.

de Bologne, Italie

Livia Corbelli

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Recent articles

You may also be interested in

Headline

Never Miss A Story

Get our Weekly recap with the latest news, articles and resources.
Cookie policy
We use our own and third party cookies to allow us to understand how the site is used and to support our marketing campaigns.

Hot daily news right into your inbox.